lundi, juin 13, 2005

La passion selon Max Weber

"On peut dire que trois qualités sont essentielles et décisives pour l'homme politique : la passion, le sentiment de responsabilité et le coup d'oeil. La passion au sens de l'attachement à une cause (Sachlichkeit) : se dévouer passionément à une cause (Sache), au dieu et démon qui l'ordonne, et non au sens de cette attitude intérieure que mon défunt ami Georg Simmel avait coutume de qualifier "d'exication stérile" et qui est le propre d'un certain type intellectuels, russe avant tout (non pas tous!), une attitude qui joue un rôle si important chez nos intellectuels également, dans ce carnaval que l'on pare du fier nom "révolution" : un goût romantique de l'excitation intellectuelle, fonctionnant à vide, sans aucun sentiment de responsabilité envers une cause (sachlich). Car la passion seule, aussi authentique qu'elle soit, ne suffit pas. Elle ne fait pas d'un individu un homme politique quand elle ne fait pas du service de la "cause", donc aussi de la responsabilité à l'égard de cette cause précisément, l'étoile qui guide l'action de manière déterminante. Et pour cela il faut le coup d'oeil (celui-ci est la qualité psychologique décisive à l'homme politique), c'est-à-dire la capacité de laisser agir sur soi les réalités, dans le recueillement intérieur et la tranquillité, donc : "la distance à l'égard des choses et des hommes". "L'absence de distance" purement et en tant que telle, est l'un des péchés mortels de tout homme politique et si on la cultive dans la jeune génération de nos intellectuels, elle les condamnera à l'incapacité politique. Car le problème est précisément de savoir comment la chaleur de la passion et la froideur du coup d'oeil peuvent être contraintes à habiter dans la même âme.

- Max Weber, Politik als Beruf

jeudi, juin 09, 2005

La chouette de Minerve

" Pour dire encore un mot sur la prétention d’enseigner comment doit être le monde, nous remarquons qu’en tout cas, la philosophie vient toujours trop tard. En tant que pensée du monde, elle apparaît seulement lorsque la réalité a accompli et terminé son processus de formation. Ce que le concept enseigne, l'histoire le montre avec la même nécessité : c'est dans la maturité des êtres que l'idéal apparaît en face du réel (Wirklichkeit) et après avoir saisi le monde dans sa substance le reconstruit dans la forme d'un empire intellectuel. Lorsque la philosophie peint sa grisaille dans la grisaille, une manifestation de la vie achève de vieillir. On ne peut le rajeunir avec du gris sur le gris, mais seulement la connaître. Ce n’est qu’au début du crépuscule que la chouette de Minerve prend son envol. "

- G.W.F. Hegel, Principes de la philosophie du droit, 1821.

Avis aux hégéliens : Cette citation provient de la vieille traduction de Kaan des Principes. Je suis bien au fait que c'est une bien mauvaise traduction...