jeudi, avril 26, 2007
Yann Martel : la politisation des littérateurs
La récente intervention publique de Yann Martel démontre très bien que l'intelligentsia littéraire canadienne détient une conscience claire de l'ampleur de la dérive anti-intellectualiste du néo-conservatisme canadien. Bien qu'ayant une formation universitaire, Stephen Harper est représentatif d'une élite technocratique dont l'horizon littéraire ne se réduit qu'à des manuels d'économie politique. On est bien loin d'un Pierre Elliot Trudeau qui avait lu tous les grands classiques dès son jeune âge et qui fut sensible à l'humanisme d'Émanuel Mounier ou de Jacques Maritain. Je pense que le programme de lecture de Yann Martel à l'attention de Harper est un exemple éloquent de l'écart qui se creuse entre une élite culturelle soucieuse d'humanisme et une élite politique centrée sur les seuls intérêts économiques. Signe que la figure du politicien-littérateur appartient désormais à un autre âge, signe que la culture est devenue pour l'élite technocratique non plus une valeur ajoutée à leur capital politique, mais un coût en trop pour l'économie canadienne. Signe également que l'emprise inexorable du populisme sur la culture politique canadienne prive les littérateurs de leur influence politique. Bref, le programme que Theodor Heuss, célèbre intellectuel allemand, proposait à son époque demeure encore d'actualité : il faut politiser les écrivains de façon à ce qu'ils reprennent leur droit dans l'espace public. Yann Martel a eu le courage de le faire, il faut suivre son exemple.