jeudi, décembre 13, 2007

L'âge des ténèbres : Fiat ars, pereat mundus



À propos du dernier film de Denys Arcand. Loin de moi l'idée de le dénigrer comme bon nombre d'intellos branchouilles l'ont fait.


Il est certain que le dernier film de Arcand exploite un thème récupéré de nombreuses fois par les intellectuels de droite et de gauche: la déclin d'une société minée par l'individualisme narcissique en vogue. Mais le film en soi demeure très intéressant. On reste froid devant sa caricature excessive de la bureaucratie québécoise : un vague sourire tout au plus sur l'épisode du Feng Shui mais un rire franc pour l'idée de l'espace d'un kilomètre alloué aux fumeurs à l'extérieur de l'édifice gouvernemental. Bref, il faut prendre ce film pour ce qu'il est : un film divertissant et non pas comme une véritable critique sociale. Je m'explique.

L'ensemble des thèmes sociaux récupérés par Arcand dans son film sont depuis fort longtemps des lieux communs : la société de risque, le terrorisme, l'ennui, la dépression, la pollution, des adolescents sans conscience, l'irresponsabilité des autorités publiques, le capitalisme sauvage, le déclin des familles modernes, le virage ambulatoire en santé, etc. Sans oublier les nombreux exutoires imaginés et fantasmés par les individus qui veulent tromper la morosité de leur vie : la réussite professionnelle, le sexe, la fuite dans les jeux de rôles (hilarant cette partie du film). Donc, rien de nouveau sous le soleil. Certains peuvent trouver cela d'une prétention intellectuelle exagérée, mais cette prétention est naturellement contredite par le fait que les enjeux sociaux ne sont traités sous la forme d'une satire burlesque. Quelque chose d'équivalent aux films de Woody Allen par exemple. Si, vraiment, Arcand avait eu quelques prétentions intellectuelles bien fondés, ce film aurait été conçu de manière différente et de manière élitiste.

La fin du film est intéressante tout de même : banal certes, mais intéressante. La question du retour à la nature mérite notre attention. D'un côté, on peut à juste titre reprocher la solution facile que cela représente. Ce qui frappe, c'est le paradoxe fondamental qui résulte de cette utopie : non pas une réconciliation du sujet avec lui-même, mais la résignation de l'individu au fait que l'ennui doit impérativement être trompé d'une façon ou d'une autre. Autrement dit, Jean-Marc Leblanc, au même titre que les autres personnages du film, finit par s'ennuyer de la beauté de la nature. Tout ce qui lui importe c'est de s'oublier dans une activité quelconque, c'est-à-dire éplucher des pommes, charrier du foin, faire de la pêche à la ligne. Arcand parvient malgré tout à peindre avec perfection le paradoxe de l'idéal de l'homme moderne : l'homme cherche à s'oublier, au prix du sacrifice de son intellect, dans la routine. Jean-Marc Leblanc devient en quelque sorte un moine qui se réfugie dans sa propre intériorité, mais un moine qui n'est guidé par aucune vocation religieuse. Bref, ce qui lui reste, c'est de passer le temps jusqu'à ce que la mort le libère...

Si, vraiment, il y a des intellos néo-libéraux ou néo-cons qui pensent trouver dans le film de Arcand une source d'inspiration intellectuelle pour critiquer la société contemporaine, ils n'y trouveront pas grand chose de bien nouveau. L'important pour Arcand c'est le médium technique et je ne pense pas qu'ils puissent réellement en saisir la véritable signification. Comme le disait Marinetti : "Fiat ars, pereat mundus"; "Que l'art advienne, le monde dût-il périr".