Voici quelques extraits des Heidelbergi Levelek de Karl Mannheim qu'il a publié en automne 1921 dans une revue hongroise en exil. Ce sont mes traductions personnelles de la version allemande. Ce texte a récemment été traduit en anglais, mais il n'existe aucune version française. Exilé hongrois en 1921, Karl Mannheim arrive à Heidelberg et observe son environnement intellectuel.
"J’ai le sentiment du dehors d’être un étranger, comme un éclaireur envoyé de l’avant, comme un observateur isolé (vorgeschobener) d’un petit groupe d’hommes qui surveillent si à quelque part quelque chose se manifeste, s’il y a des hommes hors de leur demeure. Lorsque les hommes sont ensemble, je suis là aussi ; lorsqu’ils apprennent, j’apprends avec eux ; et je souhaiterais vivre et m’installer parmi eux mais pourtant je ne trouve pas ma place."
"De par ses signes nous pourrons apercevoir les caractéristiques d'une petite et mince couche d'hommes que sont les intellectuels progressistes allemands d'aujourd'hui. Il en a toujours été ainsi que nous, écrivains, nous en faisons partie d'une quelconque façon; et que lorsque nous écrivons, nous examinons sans toujours le savoir les opinions et les préjugés de notre caste particulière et lorsque nous prétendons écrire l'histoire des intellectuels, nous racontons non seulement l'aventure de quelques " pionniers " (Voraneilender), mais nous y participons en même temps que nous formons avec ces quelques hommes le centre du monde."
"Comment est-il possible que l’on puisse voir dans une petite ville de province l’âme de la grande Allemagne ? Le fondement (de cette question) repose communément sur une décentralisation culturelle de l’Allemagne. Les différents courants de pensée ne sont pas du même groupe d’individus cultivés d’un seul lieu ou d’une grande ville ; les nouvelles pensées, sensations ou expériences trouvent plutôt leurs points d’entrée dans de nombreuses petites villes dispersées dans les provinces. Le tout provient de traditions multiples, de plusieurs origines locales. La province et la petite ville ne sont pas le dernier lieu périphérique ou déclinant du rayonnement de la vie d’un centre culturel, mais plutôt son point d’origine."
"La communauté georgienne est vue de l’intérieur comme un laboratoire pour intellectuels en devenir dans la société d’aujourd’hui, en tant que solution à un problème " d’exil intellectuel et spirituel ". Sa finalité réside dans la fermeture d’esprit, pensant avoir trouvé par ses sentiments un fondement avec lequel elle peut s’endormir. Elle s’est refermée et s’est enveloppée dans le contenu de la culture et- en excluant du même coup les choses de ce monde- elle s’est aliénée elle-même ".